Myriam MIHINDOU, L’intérieur de ses mains roses (Série Le Patron), 2024,
Encre, tranches de livre, soie, calque, papier, graphite, épingles.
72 x 76 cm
Les limules sont des animaux marins dont la morphologie – un corps protégé par un exosquelette articulé, et un sang bleu en raison de la présence de cuivre – est stable depuis des centaines de millions d’années. Traditionnellement consommé.e.s pour l’alimentation, utilisé.e.s comme appât de pêche ou engrais mais plus encore, désormais, dans l’industrie pharmaceutique, les limules sont en fort déclin, tandis que notre survie est mise en balance avec la leur. Leurs cellules sanguines permettent en effet de détecter la présence de bactéries sur le matériel chirurgical, les liquides injectables ou divers médicaments, ce qui nous met au pied du mur : risquer de se voir inoculer une substance mortelle, ou bien, dans l’attente d’un produit de synthèse, sacrifier ces arthropodes, sachant que nombre d’entre eux mourront d’être saignés en laboratoire.
Choisir « Le sang des limules » pour titre d’exposition est une manière, pour Myriam Mihindou, de nous inviter à penser avec elle le monde dans son actualité, dans sa complexité politique, économique et éthique, en résistant à ce qui nous broie, en affirmant notre empathie avec le vivant, et bien sûr, car tel est depuis toujours le fil conducteur de sa démarche artistique, en la suivant dans son projet de lier art et soin.
Encore lui a-t-il fallu inventer ses outils et ses armes – films, photographies, dessins, sculptures et installations –, expérimenter encore et encore la contrainte et la libération, surmonter ses peurs, instaurer des rituels de guérison et d’autoguérison, explorer le lâcher-prise et réactiver les mémoires, redonner sa puissance au féminin, inscrire le rituel dans la matière même, ou secouer la langue pour opposer au désastre quelque chose de bon. Indissociables de cette production multiforme et hypercohérente, les transperformances sont des temps forts d’expérience et de partage, sans ligne de rupture entre le spirituel et le politique, l’intime et l’en-commun.
La série Le Patron (2024) est constituée de feuilles de papier calque et de papier de soie assemblées par des épingles, associant dessins, collages et mots brodés au fil de cuivre. En couture, un patron est un guide, une trame et une méthode. En art, on pourrait y voir, avec Gilles Deleuze, un diagramme, une matrice initiatrice d’un processus de création. Ici, comme souvent dans le travail de Myriam Mihindou, les titres (L’intérieur de ses mains roses) associent image et texte en une même poétique énigme.
L’une des oeuvres porte les mots ARIUM NO AB OVO, ce qui renvoie au lieu indéfini d’impossibles origines, mais elle a pour titre Nota Bene, comme un memento sans objet et sans adresse particulière : à chacun de savoir ce dont il importe de se souvenir ou sur quoi porter son attention. D’autres – Le partage des eaux ; Flumen, Fluminis (fleuve rivière cours d’eau) Commigrare, o,aui,atum (passer d’un lieu à un autre, habiter) ; Carbone océanique – évoquent d’improbables paysages nocturnes, avant peut-être que le langage vienne qualifier et séparer les eaux bleues et la terre, le sang des limules et l’océan primordial.
Evelyne Toussaint
Historienne de l’art contemporain
Professeure émérite de l’Université Toulouse Jean Jaurès
Vue d’exposition, Myriam MIHINDOU, Le sang des Limules, Galerie Maïa Muller
Vue d’exposition, Myriam MIHINDOU. Le sang des Limules, Galerie Maïa Muller
Vue d’exposition, Myriam MIHINDOU, Le sang des Limules, Galerie Maïa Muller