CANTIQUE DES CORBEAUX
23.04.22 - 28.05.22

GRETEL WEYER
#1
Cantique des corbeaux, 2022
Céramique émaillée, bois, silicone, laiton
190 x 56 x 36 cm
Prix: 9 500 euros
#2
La grande vitrine, 2022
Céramique émaillée et bois
207 x 200 x 57 cm
Prix: 15 000 euros
#4
Ours, 2021
Céramique émaillée
45 x 40 x 18 cm
Vendu
#5
Sanglier, 2021
Céramique émaillée
54 x 38 x 22 cm
Prix: 3000
#6
Seaux d’ânes, 2022
Céramique émaillée
40 x 28 cm (chaque)
Prix: 1 600 euros (chaque)
Vue d’exposition Galerie Maïa Muller – Copyright Rebecca Fanuele
 
#7
Pot aux papillons, 2019
Céramique émaillée
47 x 37 cm
Prix: 3 000 euros
#8
Ciste, 2020
Céramique émaillée
20 x 35 cm
Prix: 2 500 euros
#9
Le vase aux papillons, 2022
Céramique émaillée
25 x 41 cm
Réservé
Vue d’exposition Galerie Maïa Muller – Copyright Rebecca Fanuele
#10
Pattes d’ours, 2022
Céramique émaillée
20 x 13 x 9 cm
Vendu
#11
Pattes de sanglier, 2020
Céramique émaillée
20 x 9 x 3 cm
Vendu
#12
La petite chaise, 2022
Céramique émaillée et bois
60 x 31 x 38 cm
Prix: 2 500 euros
#13
Sans titre, 2017
Céramique émaillée
20 x 14 x 32 cm
Prix: 1 800 euros
Tout le gros bétail est mis à contribution par ces admirables tailleurs imagiers qui suivaient les humbles confréries des « Logeurs du bon Dieu » et, sous les ordres du maître d’œuvre, sculptaient ces prodigieuses cathédrales dont les tours montaient, au chant des psaumes. 1
Joris-Karl Huysmans
 
Au sol, un ancien corps d’horloge de bois brun tire vers le ciel où l’œil est arrêté : dans le cadran vide, minutes arrachées, sommeille un firmament de bleus, de gris et de verts bronze d’une eau qui eut plu à Gaston Bachelard. L’eau mue en un espace d’intimité, un type de destin autre que celui des images fuyantes ou d’un rêve qui ne s’achève pas, un destin essentiel qui métamorphose sans cesse la substance de l’être.2 L’ascension se fige. L’horloge se coiffe d’un chapiteau corinthien de corbeaux d’un noir de jais à l’outre-noir, adieu l’élévation du chant vers les angélus et l’Annonciation, bonjour l’inquiétude et la nuit qui remue. Une désorientation, un trouble opère. La verticalité d’abord – horloge métaphore de colonne et élévation des psaumes (tous deux puisent leur origine dans le chant religieux, le Cantique étant considéré comme le chant des chants, consacré au roi Salomon) – , l’ ovalité ensuite – cadran qui évoque immanquablement l’ovale d’influence byzantine et qu’en Italie on appelle la mandorla, amande, dont nous héritons sous le nom de Mandorle, foyer du Christ dans tout Jugement Dernier – , et horizontalité enfin de l’eau qui semble dire d’une part « toutes les choses coulent », credo d’Héraclite l’obscur, mais aussi la peine de l’eau est infinie. Mélancolie songeuse, lente et calme.
Gretel Weyer l’a nommé Cantique des corbeaux.
À la manière de telle « musique faiblissante du soleil devenue requiem au prisme de la mer 3» il va de l’inquiétante étrangeté de Freud, de Sade, de la béatitude mêlée à la crainte : source de plaisir à laquelle s’ajoute la dualité équivoque du corbeau. Est-ce la faute aux Fables de la Fontaine si l’on retient le maléfique oiseau et que l’on oublie le messager des Dieux, assis sur les épaules d’Odin et chargé de voler chaque jour autour du monde et de rapporter ce qu’il a vu et entendu ? Le voilà infailliblement juché au-dessus d’une quasi-potence : c’est Manet illlustrant Edgar Allan Poe, oiseau de mauvais augure ! Hitchcock les faisant crisser à la figure de la Beauté, oiseau de malheur ! la mort à l’endroit de Van Gogh et de son Champ de blé aux Corbeaux. Oiseau funeste ! Sur la nature défleurie, Faites s’abattre des grands cieux les chers corbeaux délicieux, 4 dans l’oubli des devins qui se plaisaient à dire l’avenir à partir des inflexions de sa voix. Question de couleur symbolique également que les temps modernes ont pris en héritage : de Fantômas à Dracula, le vampire est vêtu de noir.
Gretel Weyer nous avait habitués au merveilleux et au fantastique, à la tradition héritée des faunes et des monstres, à la difformité, aux hermaphrodites condamnés, au Centaure, à l’iconographie du Moyen-Âge, à faire les cent pas entre les métempsycoses égyptiennes – déplacements d’âmes entre l’homme et l’animal -, les métamorphoses hellénistiques – Ovide – et, dans le déluge des crapauds, nous rabattions nos oreilles lorsque l’on percevait déjà ce son : le bruissement des animaux qui rampent, fourmillent et s’entassent, comme pour un bûcher, presque crépitent. Un ciel noir qui rougit, une figure sombre à son promontoire d’Ange Déchu : Le Creux de l’Enfer, céramique émaillée réalisée en 2019 l’annonçait.
Qui dit Cantique des corbeaux, dit Animaux musiciens.
Aux balustrades et aux voussures des cathédrales, les formes visibles sont un symbole dira-t-on, mais la chèvre prend le tambour (Les Obsèques de Renard), le porc est cithariste et la chèvre est harpiste (Crypte de Canterbury), l’âne vieille (Les animaux de la ville de Brême) et à Strasbourg, plus près de Gretel, Brichemer célébre la messe. Plaçant donc ce cantique dans la belle iconographie médiévale des animaux musiciens, le voici compagnon de Truie jouant du tuba au musée de l’Echevinage de Poitiers, du bouc cithariste du musée de Limoges, de la chèvre flûtiste à califourchon sur un monstre à même la crypte de la cathédrale de Canterbury, et de l’âne jouant du psaltérion dans la crypte de Saint-Parize-le-Châtel. 5 L’analogie s’arrête là : ces bas-reliefs sont au Moyen-Âge -mise en garde contre l’orgueil – ce que Louis de Funès fut à la télévision, nous croulons dans le burlesque, le Moyen-Âge aime bien rire. Aussi. Chez Gretel Weyer, le rire file un coloris jaune, La fête est finie (Céramique, 2012, Collection du musée d’art moderne de Strasbourg). Musique encore. Ce bruit, ce chant, ce son lié à l’image, est-ce une parole ? (Nous sommes là à deux doigts de renouer avec une chose perdue pour nous : la parole qui puise autant dans l’image que dans le son de l’écriture, du hiéroglyphe égyptien et de l’idéogramme chinois). Car enfin, cette parole, c’est aussi la métaphore d’Orphée charmant les animaux et Adam nommant les animaux. Le premier descend jusqu’au monde infernal pour ne pas perdre sa femme Eurydice, piquée par un serpent, Adam pêche et abandonne le monde édénique, perdu par la conduite d’Ève.
Gronde ainsi la nostalgie cause de dette infinie : le paradis perdu. Taillé dans l’argile, est-ce donc cet enfant dont les jambes ballotent au-dessus d’un cabinet de curiosités, comme un guet, qui mêle à l’attente le ressort d’une résistance à la tentation et à la chute, et fait figure de prédateur ? Les lèvres fardées, il plane comme un verset d’Apocalypse de saint Jean quand, du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres (…) Et au milieu du trône et autour du trône, quatre animaux pleins d’yeux par- devant et par derrière. Le cabinet exhibe ses lambeaux d’animaux, drapés languides aux yeux froids, poissons, ours, âne, renard, membres épars qui plissent gueules ouvertes. Sur une petite chaise ruissellent les étoffes d’oies décapitées. La nuit du chasseur fait peau neuve de ses cadavres. A la scène comme à la galerie, Gretel Weyer hybride ce théâtre de la cruauté.
Premier socle, premier acte : le diable prend la forme d’une coupe évasée, dont un entrelacs d’aspics verts à pupilles ovales tous ensemble, entremêlés comme autant de pédicules qui évoquent la planche de viscères anatomique, s’élèvent en branches jouant de contours de feuilles de Cistes, et dans la confusion de museaux protubérants, surgissant comme les caroncules, la coupe est pleine de serpents. Visions de méduses de Rubens ou du Caravage, la tête renversée. C’est qu’en Gretel coule pour moitié du sang italien.
Second socle, second acte : une amphore prottoatique, faisant un détour par la Grèce, éructe d’une nuées de papillons qui font un trait d’union avec deux trophées de sanglier et d’ours, pattes démembrées, qui mènent une vie séparée et participent à notre effroi grandissant.
En vitrine, acte final du vase en cristal de Bohême, aux bulles qu’enfant tu soufflais, (…) aube éphémère de reflets 6, un bois peint sert de fond au serpent ailé que séparent face à face deux jeunes filles dans une posture préraphaélite, et qui évoque un instant l’Edward Burne-Jones de la Tête maléfique, mais ici dans un profil quasiment hiéroglyphique. Les deux femmes crachent un chapelet de bulles de cristal, dont on ne saurait dire si elles aspirent par évaporation ou si la main portée sur le ventre, vomissent. Sortilèges et Incantations, 2019.
Au creux du ventre, on croise les doigts, paradoxe du corps. Et c’est le cœur battant que l’on se figure de ce que l’on a flâné innocemment, que l’on est soudain cerné, entre les sabots poilus pour souliers et les membres tranchés, l’envol de papillons, l’oiseau de proie. Au centre, vous et moi, plus exactement encerclés.
C’est à croire qu’au 19 rue Chapon, à mi-chemin entre l’amour et la mort, l’on a murmuré « Approche, c’est une étreinte», et que dans un rite secret, le fantôme d’ Echidna, mi-femme, mi-serpent s’est accouplé au géant Typhon, au corps sillonné de vipères embusquées dans des taillis de plumes, à la bouche crachant des dards et mâchant des flammes. Vous voilà en Grèce, vous voici à Rome, vous êtes autant chez les canopes égyptiens qu’auprès d’Isidore de Séville, vous étiez au cœur d’une revanche prise sur tous les infanticides impunis pour difformité de la Rome Antique, de tous les enfants et monstres jetés du Mont Taygète. RENAISSANCE. A la manière de Gretel Weyer.
Alexandra Lantz
 
1. Le Monstre, Certains, 1889. Écrits sur l’art, J-K Huysmans, Éditions Bartillat, 2019, p.402.
2. L’eau et les rêves, Essai sur l’imagination de la matière, Gaston Bachelard, Librairie José Corti, 1942
3. Le faune de marbre, un rameau vert, 1924, William Faulkner.
4. Les corbeaux, 1871, Arthur Rimbaud.
5. Le bestiaire sculpté en France, V.H Debidouron, on finit par détruire celles de Strasbourg en 1685.
6. Clair de terre, Pièce fausse, Hommage à Benjamin Péret, André Breton.
La nuit du chasseur, magnifique film noir de Charles Laughton avec Robert Mitchum, que Gretel cite volontiers parmi les œuvres qui l’ont marquée, ainsi que Lord of Flies de Goulding, adapté au cinéma par Peter Brook. Gretel Weyer a réalisé la mise en scène en 2019 de l’Écho des creux, de Renaud Herbin, créé au TJP Centre dramatique national Strasbourg Grand Est.
« Avec l’utilisation de papiers trempés dans du thé au citron ou des infusions d’hibiscus, différentes sortes de sels et de sables, comme ailleurs la sueur et les larmes, c’est principalement un univers liquide qu’elle évoque. Flux, coulures, courants et dispersions: une mécanique des fluides qui concerne aussi bien la géophysique que le corps humain. Les draps boursouflés renvoient à des limons de fonds de rivière, les coutures forment des veines ou des scarifications, les poches de sable s’apparentent à des reins. »
« C’est cette profonde humilité qui caractérise son travail. Une humilité d’ailleurs prise dans son sens étymologique, dérivée de l’humus, la terre. une expérience de corps à corps, entre le sien et celui de l’oeuvre, qui passe par un processus d’immersion. »
Guillaume Désanges, journal de la Verrière n°30, Caresser toutes les courbes de l’existence, Exposition Myriam Mihindou EPIDERME, Fondation d’entreprise Hermès, Bruxelles, 2022, p.6-7