Aux balustrades et aux voussures des cathédrales, les formes visibles sont un symbole dira-t-on, mais la chèvre prend le tambour (Les Obsèques de Renard), le porc est cithariste et la chèvre est harpiste (Crypte de Canterbury), l’âne vieille (Les animaux de la ville de Brême) et à Strasbourg, plus près de Gretel, Brichemer célébre la messe. Plaçant donc ce cantique dans la belle iconographie médiévale des animaux musiciens, le voici compagnon de Truie jouant du tuba au musée de l’Echevinage de Poitiers, du bouc cithariste du musée de Limoges, de la chèvre flûtiste à califourchon sur un monstre à même la crypte de la cathédrale de Canterbury, et de l’âne jouant du psaltérion dans la crypte de Saint-Parize-le-Châtel. 5 L’analogie s’arrête là : ces bas-reliefs sont au Moyen-Âge -mise en garde contre l’orgueil – ce que Louis de Funès fut à la télévision, nous croulons dans le burlesque, le Moyen-Âge aime bien rire. Aussi. Chez Gretel Weyer, le rire file un coloris jaune, La fête est finie (Céramique, 2012, Collection du musée d’art moderne de Strasbourg). Musique encore. Ce bruit, ce chant, ce son lié à l’image, est-ce une parole ? (Nous sommes là à deux doigts de renouer avec une chose perdue pour nous : la parole qui puise autant dans l’image que dans le son de l’écriture, du hiéroglyphe égyptien et de l’idéogramme chinois). Car enfin, cette parole, c’est aussi la métaphore d’Orphée charmant les animaux et Adam nommant les animaux. Le premier descend jusqu’au monde infernal pour ne pas perdre sa femme Eurydice, piquée par un serpent, Adam pêche et abandonne le monde édénique, perdu par la conduite d’Ève.
Gronde ainsi la nostalgie cause de dette infinie : le paradis perdu. Taillé dans l’argile, est-ce donc cet enfant dont les jambes ballotent au-dessus d’un cabinet de curiosités, comme un guet, qui mêle à l’attente le ressort d’une résistance à la tentation et à la chute, et fait figure de prédateur ? Les lèvres fardées, il plane comme un verset d’Apocalypse de saint Jean quand, du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres (…) Et au milieu du trône et autour du trône, quatre animaux pleins d’yeux par- devant et par derrière. Le cabinet exhibe ses lambeaux d’animaux, drapés languides aux yeux froids, poissons, ours, âne, renard, membres épars qui plissent gueules ouvertes. Sur une petite chaise ruissellent les étoffes d’oies décapitées. La nuit du chasseur fait peau neuve de ses cadavres. A la scène comme à la galerie, Gretel Weyer hybride ce théâtre de la cruauté.
Premier socle, premier acte : le diable prend la forme d’une coupe évasée, dont un entrelacs d’aspics verts à pupilles ovales tous ensemble, entremêlés comme autant de pédicules qui évoquent la planche de viscères anatomique, s’élèvent en branches jouant de contours de feuilles de Cistes, et dans la confusion de museaux protubérants, surgissant comme les caroncules, la coupe est pleine de serpents. Visions de méduses de Rubens ou du Caravage, la tête renversée. C’est qu’en Gretel coule pour moitié du sang italien.
Second socle, second acte : une amphore prottoatique, faisant un détour par la Grèce, éructe d’une nuées de papillons qui font un trait d’union avec deux trophées de sanglier et d’ours, pattes démembrées, qui mènent une vie séparée et participent à notre effroi grandissant.
En vitrine, acte final du vase en cristal de Bohême, aux bulles qu’enfant tu soufflais, (…) aube éphémère de reflets 6, un bois peint sert de fond au serpent ailé que séparent face à face deux jeunes filles dans une posture préraphaélite, et qui évoque un instant l’Edward Burne-Jones de la Tête maléfique, mais ici dans un profil quasiment hiéroglyphique. Les deux femmes crachent un chapelet de bulles de cristal, dont on ne saurait dire si elles aspirent par évaporation ou si la main portée sur le ventre, vomissent. Sortilèges et Incantations, 2019.
Au creux du ventre, on croise les doigts, paradoxe du corps. Et c’est le cœur battant que l’on se figure de ce que l’on a flâné innocemment, que l’on est soudain cerné, entre les sabots poilus pour souliers et les membres tranchés, l’envol de papillons, l’oiseau de proie. Au centre, vous et moi, plus exactement encerclés.
C’est à croire qu’au 19 rue Chapon, à mi-chemin entre l’amour et la mort, l’on a murmuré « Approche, c’est une étreinte», et que dans un rite secret, le fantôme d’ Echidna, mi-femme, mi-serpent s’est accouplé au géant Typhon, au corps sillonné de vipères embusquées dans des taillis de plumes, à la bouche crachant des dards et mâchant des flammes. Vous voilà en Grèce, vous voici à Rome, vous êtes autant chez les canopes égyptiens qu’auprès d’Isidore de Séville, vous étiez au cœur d’une revanche prise sur tous les infanticides impunis pour difformité de la Rome Antique, de tous les enfants et monstres jetés du Mont Taygète. RENAISSANCE. A la manière de Gretel Weyer.