Le ciel est un fouillis inextricable d’êtres qui volent, se croisent et s’entrechoquent : les harpies, les basilics, les griffons, les sirènes, les dragons, les oiseaux petits et les grands, les insectes de toutes tailles et de toutes les couleurs, Pégase, Joseph de Cupertino, toutes les créatures qui peuplent le ciel et notre imaginaire, le lion de saint Marc, le taureau de saint Luc. Le diable a des ailes ; les archanges également.
Donnez-nous des ailes ! Le projet est louable, certes, mais on sait ce qu’il advint d’Icare quand Dédale, son père, qui l’avait muni d’ailes afin de rejoindre dans l’azur, les nuages et le soleil, devant les dieux jaloux, l’envoya à la mort.
Il semble admis qu’il n’est pas possible de voler avec une seule aile et, généralement, les êtres qui sillonnent l’espace possèdent deux ailes qui leur suffisent largement pour parcourir des distances étonnantes, pour atteindre des vitesses prodigieuses, pour planer ou bien pour rester sur place comme le Saint-Esprit, par exemple. On constate cependant, sans qu’on ne sache trop pourquoi, que les libellules ont quatre ailes ainsi que les chérubins qui accompagnent le char d’Elie tandis que les séraphins en possèdent six. J’ignore si quelque créature est dotée de quatre, cinq, six paires d’ailes ou plus ; on sait que l’abus nuit en tout !
On remarquera cependant qu’une seule aile suffit pour être protectrice ; elle agit alors comme le ferait un solide bouclier placé au-devant du corps, du cerveau, ou plus souvent, du cœur affaibli par quelque rêve : un rempart de plumes légères. Le vent et les pluies transportent les montagnes et modifient l’ordre des choses régies par les lois de l’univers. L’air et les nuages emportent les grains de sable pour construire ailleurs, en de lointains pays, d’autres montagnes fluides, instables d’abord, figées ensuite dans des masses rocheuses qui semblent immuables ; et voici que dans le ciel, les poussières au nombre incalculable volent en compagnie des poissons-volants, des âmes des morts et des oiseaux parés de l’or clair des étoiles.
Donnez-leur des ailes, ainsi qu’aux images vagabondes, à la beauté des colombes, au linge suspendu à un fil, aux mots errants qui se dispersent et envahissent tout esprit qui veut bien se laisser envahir, toute personne qui, dans le doute fécond, les accueille plaisamment.
Laurent Busine

Vue d’exposition Donnez-nous des ailes – De gauche à droite Jean-Michel Fauquet Sacha Ketoff John Stezaker Damien Deroubaix – Copyright Rebecca Fanuele

